La vente en ligne de lunettes et lentilles de vue bientôt autorisée


A ce jour, seules les lunettes de soleil, montures et lentilles fantaisie peuvent être vendues sur le Net. Droit européen oblige, la France élabore actuellement un cadre légal pour la vente en ligne des autres produits d’optique. En tentant de concilier santé publique et attentes du marché.

Par Bénédicte DELEPORTE, Avocat, Deleporte Wentz Avocat

A ce jour, seules les lunettes de soleil, montures et lentilles fantaisie peuvent être régulièrement vendues sur internet. La vente de lunettes et lentilles de vue est spécifiquement réglementée et non autorisée en ligne.(1)

Afin de se conformer au droit européen, le gouvernement français a décidé d’élaborer un cadre légal permettant la vente en ligne de ces produits, aux fins de répondre aux besoins du marché, en respectant les exigences en matière de santé publique.

Un projet de loi, portant notamment sur la vente en ligne de produits d’optique-lunetterie, est en cours d’examen à l’Assemblée Nationale et devrait être voté par le Parlement avant fin 2011.(2)

1. La réglementation française en vigueur relative à la vente de lunettes et lentilles de vue ne prévoit pas la vente en ligne

1.1 La profession d’opticien-lunetier et la commercialisation de lunettes et lentilles de vue

Les règles applicables à la profession d’opticien et à la vente de lunettes et lentilles de vue sont définies au Code de la santé publique.(3) La vente de lunettes et lentilles de contact de vue est notamment soumise aux conditions suivantes :

– Etre titulaire d’un diplôme ou certificat professionnel : la possibilité de commercialiser des produits d’optique-lunetterie est exclusivement réservée aux opticiens-lunetiers diplômés. La vente de produits destinés à l’entretien des lentilles de vue relève du monopole des pharmaciens et des opticiens. Tout opticien diplômé a l’obligation avant son entrée en exercice, de s’enregistrer auprès du service compétent du département d’établissement, chaque département détenant une liste officielle des opticiens diplômés en exercice.

– Ne pas démarcher les clients en porte-à-porte : le colportage de verres correcteurs d’amétropie est interdit.

– Exiger la présentation d’une ordonnance pour les mineurs de moins de 16 ans : aucun verre correcteur ne peut être délivré à un mineur de moins de 16 ans sans ordonnance médicale. Au-delà de cet âge, la délivrance de ces produits n’est pas nécessairement soumise à la présentation d’une prescription médicale.

1.2 Une réglementation non conforme au droit communautaire

La législation française en vigueur n’interdit pas expressément la vente de lunettes et lentilles de vue en ligne. Cependant, l’impossibilité, en pratique – compte tenu des conditions applicables -, de vendre ces produits en ligne est en contradiction avec les principes généraux du droit européen de libre établissement et de prestations de services, et de libre circulation des services de la société de l’information.

Les autorités communautaires se sont prononcées à deux reprises sur ce sujet, par le biais d’un avis de la Commission adressé à la France en 2008 et par un jugement de la CJUE de 2010.

La position de la Commission européenne – Le 18 septembre 2008, la Commission a adressé à la France, dans le cadre de la procédure d’infraction prévue à l’article 226 du traité CE, un avis motivé relatif aux “entraves à la vente en ligne de produits d’optique lunetterie”.(4)

Selon la Commission, le cadre juridique français applicable à la vente de produits d’optique-lunetterie, ne prévoyant pas la possibilité de commercialiser ces produits en ligne et obligeant tout opticien qualifié de faire enregistrer son diplôme au niveau départemental, est incompatible avec le droit communautaire. La réglementation française serait contraire aux principes de libre établissement et de prestations de services (articles 43 et 49 du traité CE) et de libre circulation des services de la société de l’information (art.3 §2 de la directive 2000/31/CE “Commerce électronique”). La Commission demande donc à la France de modifier sa réglementation nationale.

La position de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) – Dans un arrêt du 2 décembre 2010, la CJUE a jugé que les États membres ne peuvent interdire la commercialisation des lentilles de contact par internet, cette interdiction étant contraire au droit communautaire.(5)

En l’espèce, la société hongroise Ker-Optika avait commercialisé des lentilles de vue via son site internet. Les autorités de santé hongroises lui ayant interdit de poursuivre cette activité au motif que ces produits ne pouvaient être vendus en ligne, la société Ker-Optika a attaqué cette décision d’interdiction en justice. Le tribunal saisi du litige a alors demandé à la CJUE de se prononcer sur la conformité de la réglementation hongroise relative à la vente de produits d’optique-lunetterie au droit européen.

La CJUE a jugé que l’objectif visant à assurer la protection de la santé des utilisateurs de lentilles de vue pouvait être atteint par des mesures moins restrictives que celles résultant de la réglementation hongroise en vigueur et que, dans ces conditions, l’interdiction de vendre en ligne des lentilles de contact était contraire aux règles en matière de libre circulation des marchandises dans l’Union européenne.

Afin de se conformer au droit communautaire tel que rappelé dans l’avis de la Commission de 2008 et dans le jugement ci-dessus, la France doit donc adapter sa législation pour élargir la vente des produits d’optique-lunetterie à Internet.

2. Le projet de loi définissant les règles de la vente en ligne de lunettes et lentilles de vue

Les dispositions relatives à la vente en ligne de « produits d’optique-lunetterie » figurent dans le projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs devant être voté par le Parlement avant fin 2011. Le débat porte principalement sur les aspects liés à la santé publique et à la protection des consommateurs, et aux aspects pratiques de l’ouverture d’internet à la vente de produits d’optique-lunetterie.

2.1. Les questions spécifiques soulevées par la vente en ligne de lunettes et lentilles de vue

L’enjeu consiste à établir un cadre juridique permettant le développement de la vente en ligne des produits d’optique-lunetterie dans le respect des exigences de santé publique et dans l’intérêt des consommateurs. Cette mise en conformité du droit français avec le droit européen est confrontée à des difficultés d’ordre pratique inhérentes à la vente à distance.

Le débat législatif porte ainsi sur de nombreuses questions telles que la nécessité d’adopter un régime identique et d’imposer les mêmes exigences de qualité en matière de santé publique, quelque soit le canal de distribution (vente en magasin et vente en ligne) ou le produit vendu (vente de lunettes, lentilles et produits d’entretien – vente de lentilles souples jetables fabriquées industriellement et vente de lentilles dures faites sur mesure).

Les exigences de santé publique et la protection des consommateurs – Le projet de loi vise à satisfaire les exigences de santé publique et à assurer la protection des consommateurs quelque soit le canal de vente, notamment en leur garantissant une correction adaptée de leur vision lors de l’achat en ligne de produits d’optique-lunetterie (ex: obtenir du vendeur des informations et conseils ou possibilité de se rétracter après réception du produit), en s’assurant qu’ils achètent un produit qui leur convient (ex: logiciel de prise des mesures du client à distance), ou qu’ils sont médicalement aptes au port des lentilles de vue par exemple (via la présentation d’une ordonnance).

Les difficultés pratiques posées par la vente à distance – La vente à distance de produits d’optique-lunetterie nécessite d’adapter et de modifier certaines conditions de commercialisation de ces produits. Il résulte de l’étude des débats et propositions d’amendements que cette adaptation est source de difficultés d’ordre pratique.

A titre d’exemple, imposer aux consommateurs la présentation d’une prescription médicale avant l’achat de produits peut poser des difficultés pratiques quant aux modalités de communication de ce document. Par exemple, l’envoi d’une copie dématérialisée de l’ordonnance par e-mail est-il suffisant ? Faut-il exiger du client la communication de l’ordonnance à chaque achat ?

En outre, les modalités pratiques de la délivrance de conseils au client à distance font également l’objet de débats. En effet, il s’agit de conseils personnalisés et non de la fourniture d’une information standard. Comment les demandes de conseils des clients vont-elles être traitées ? En temps réel ou différé, par téléphone, e-mail, tchat, etc. ?

2.2 Une vente en ligne autorisée mais nécessairement encadrée

Les derniers amendements adoptés en séance publique à l’Assemblée Nationale viennent modifier le Code de la santé publique et le Code de la consommation.(6)

Les principales dispositions doivent avoir pour effet d’imposer des conditions équivalentes à la vente en magasin et à la vente en ligne des produits d’optique-lunetterie. Compte tenu des enjeux de protection de la santé publique, cette vente reste néanmoins encadrée.

Les nouvelles dispositions – La vente en ligne de lunettes et lentilles de vue sera soumise à plusieurs conditions :

– La communication d’une ordonnance : la délivrance de verres correcteurs et de lentilles de vue sera désormais soumise à la vérification, par l’opticien, de l’existence d’une ordonnance en cours de validité. L’opticien devra réclamer cette prescription médicale quelque soit l’âge du client.

– L’obligation de conseil : lors de la vente en ligne de verres correcteurs et lentilles de vue, les vendeurs devront mettre à la disposition de l’acheteur un “professionnel de santé” qualifié, apte à répondre à toute demande d’information ou de conseil.

– La certification du site web et des logiciels utilisés : le site web de vente de produits d’optique-lunetterie et les logiciels de mesure utilisés pour la délivrance des produits (ex: logiciels mesurant l’écart pupillaire) devront être certifiés. Cette certification sera réalisée et délivrée par un organisme accrédité, attestant du respect des règles de bonne pratique édictées par la Haute Autorité de santé (information de qualité et outils de prise de mesure conformes aux exigences minimales de sécurité).(7)

– Un droit de rétractation pour l’achat en ligne : le consommateur bénéficiera du droit de se rétracter en cas d’achat à distance de produits d’optique-lunetterie. Toutefois, le projet de loi prévoit que les biens scellés, qui auront été descellés par le consommateur après la livraison, ne pourront être renvoyés pour des raisons évidentes de protection de la santé ou d’hygiène.

Les modalités précises de cette vente en ligne bien spécifique, telles que les conditions de transmission de l’ordonnance et ses exceptions, la durée de validité de l’ordonnance, les mentions et informations qui doivent figurer sur le site web, doivent être fixées par décret.

Enfin, le fait de délivrer ou de vendre à distance des produits d’optique-lunetterie sans vérifier l’existence d’une ordonnance en cours de validité et sans mettre à la disposition du client un professionnel de santé apte à répondre à toute demande d’informations ou de conseils sera puni de 3.750 € d’amende.

Une question en suspens : qui pourra exploiter un site de vente en ligne de lunettes et lentilles de vue ? – Il résulte des dispositions en vigueur du Code de la santé publique que la vente de ces produits relève du monopole des opticiens-lunetiers diplômés. La loi dispose, aux articles L.4362-1 et L.4362-9 du Code de la santé publique, que seule une personne remplissant les conditions requises pour l’exercice de la profession d’opticien-lunetier peut diriger ou gérer les établissements commerciaux dont l’objet principal est l’optique-lunetterie, leurs succursales et les rayons d’optique-lunetterie des magasins.(8)

Or, le projet de loi en cours d’examen prévoit, à ses articles 5bis et 6, que :
– « Est considéré comme exerçant la profession d’opticien-lunetier toute personne qui procède à la délivrance de produits d’optique-lunetterie dont la liste est définie par décret (…) »,
– « Lors de la vente à distance de lentilles oculaires correctrices, de verres correcteurs, fixés ou non sur des montures, les prestataires concernés mettent à la disposition du patient un professionnel de santé qualifié apte à répondre à toute demande d’informations ou de conseils ».(9)

Telles que rédigées, ces nouvelles dispositions portent à confusion. La condition de diplôme n’apparaissant plus dans ce texte, il semble donc que toute personne (“les prestataires concernés”) pourra exploiter un site web de produits d’optique-lunetterie, à la condition toutefois de faire appel à un “professionnel de santé qualifié” pour la fourniture d’informations et de conseils. Qu’est-ce qu’un professionnel de santé qualifié ? Rien n’indique qu’il s’agisse obligatoirement d’un opticien-lunetier diplômé. Il serait souhaitable que le texte définitif soit rédigé dans des termes plus clairs pour lever cette incertitude.

*********************************

(1) Plus précisément, la législation française n’interdit pas expressément la vente en ligne de lunettes et lentilles de vue. Mais les dispositions actuelles ne permettent pas en pratique d’utiliser ce canal de vente en France. Ainsi, parce qu’elle n’autorise pas expressément ce mode de distribution, la réglementation française actuellement en vigueur est considérée, par les instances européennes, comme non conforme au droit communautaire.
(2) Projet de loi n°3508, renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs, déposé le 1er juin 2011; Le rapport n°3632 de la Commission des affaires économiques du 6 juillet 2011 et discussions à l’Assemblée Nationale peut être consulté sur www.assemblee-nationale.fr ; Le projet de loi a été voté par l’AN le 11 octobre 2011 et doit maintenant être examiné par le Sénat.
(3) Voir les articles L.4211-4, L.4362-1 et s., L.4363-1 et s. du Code de la santé publique. Par ailleurs, les produits d’optique-lunetterie sont considérés comme des dispositifs médicaux, dont la commercialisation est régie par les articles L. 5211-1 et R. 5211-1 et s. du Code de la santé publique.
(4) Communiqué de la Commission Européenne du 18 septembre 2008 accessible à http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/08/1354&format=HTML&aged=1&language=FR&guiLanguage=en
(5) Arrêt CJUE du 2 décembre 2010, affaire C-108/09 Ker-Optika bt / ÁNTSZ Dél-dunántúli Regionális Intézete.
(6) Voir discussions à l’Assemblée Nationale : 2e séance du vendredi 30 septembre 2011 portant sur les articles 5 bis et 6 du projet de loi. Les derniers amendements votés créent ou modifient les articles L.4362-9, L.4362-9-1, L.4362-10 et L.4363-4 du Code de la santé publique ainsi que les articles L.121-20-2, L.121-20-6 et L.121-20-7 du Code de la consommation.
(7) Une procédure de certification telle que prévue par le Code de la sécurité sociale devrait être établie par la Haute Autorité de santé. Voir notamment article L.161-38 du Code de la sécurité sociale : “La Haute Autorité de santé est chargée d’établir une procédure de certification des sites informatiques dédiés à la santé et des logiciels d’aide à la prescription médicale ayant respecté un ensemble de règles de bonne pratique.(…)”
(8) Article L.4362-1 al.5 du Code de la santé publique : “Peuvent exercer la profession d’opticien-lunetier détaillant les personnes titulaires d’un diplôme, certificat (…).”, et article L.4362-9 al.1 du Code de la santé publique : “Les établissements commerciaux dont l’objet principal est l’optique-lunetterie, leurs succursales et les rayons d’optique-lunetterie des magasins ne peuvent être dirigés ou gérés que par une personne remplissant les conditions requises pour l’exercice de la profession d’opticien-lunetier.”
(9) Articles 5bis et 6 du projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs devant être codifiés aux articles L.4362-9 al.1 du Code de la santé publique, et L.121-20-6 du Code de la consommation.

Source: www.journaldunet.com

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