Pourquoi les opticiens redoutent l’e-commerce ?
Verra-t-on émerger bientôt des cyberopticiens ? La question occupe les conversations de vendeurs de lunettes correctrices, réunis depuis le jeudi 23 septembre et jusqu’au dimanche 26 au Silmo, le Mondial de l’optique à Villepinte (Seine-Saint-Denis). Pendant très longtemps, les 11 000 magasins d’optique se pensaient à l’abri de l’offensive du commerce en ligne, arguant que la loi française interdit le colportage. A tort.
Après une intervention de la Commission européenne, le ministère de la santé a précisé, au printemps 2009, que vendre des lunettes sur Internet n’était pas interdit. Depuis, le marché est en émoi. Moins d’une dizaine de sites ont vu le jour, mais les professionnels ne doutent pas qu’Internet rognera peu à peu leur chiffre d’affaires. « Il faudra bien s’y faire, reconnaît Christian Romeas, président du syndicat des opticiens Synope, qui regroupe, notamment, les enseignes Optic 2000, Lissac et Krys. On ne peut pas être rétrograde. Internet est le mode de distribution du XXIe siècle. » Toutefois, ajoute-il, « c’est un sujet de santé publique et avec le Net, nous avons de grosses inquiétudes ».
Selon le Synope, une paire de lunettes ne se vend pas comme un téléviseur. En magasin, un opticien diplômé doit être présent. Il est le seul habilité à effectuer les opérations de contrôle de vision. Et si, sur Internet, un opticien est censé être derrière chaque site, « rien ne le garantit ! », note M. Romeas, qui attend que le gouvernement précise comment doit s’organiser le marché des lunettes correctrices sur le Web. Une fois ces précisions apportées, certaines grandes enseignes devraient lancer leur propre site.
Mais si la profession s’angoisse, c’est aussi parce que les sites Internet risquent de mettre le bazar dans un marché de 5,3 milliards d’euros très rentable. Selon les experts, la marge commerciale des opticiens s’élèverait à plus de 60 %. Presque autant que dans l’industrie du luxe ! De fait, acheter des lunettes coûte cher : de l’ordre de 200 euros pour une monture simple équipée de verre unifocaux, et de 500 euros avec des verres progressifs, selon la direction de la recherche, des études de l’évaluation et des statistiques (Drees, ministère de la santé).
Or, la Sécurité sociale ne rembourse qu’une part infime de ce montant : de 4 à 15 euros pour un adulte. Et même si les remboursements des mutuelles de santé permettent « d’offrir » un complément, in fine, « c’est le consommateur qui paie, même si c’est indirect via sa cotisation », souligne Marianne Binst, directrice de Santéclair, société qui conseille les complémentaires santé pour améliorer la prise en charge des assurés.
Les start-up de l’optique ont compris l’enjeu. L’un des pionniers du secteur, Happyview.fr créé il y a un an et demi, se revendique comme le H&M de l’optique et promet une paire de lunettes de la marque chic Ray-Ban avec des verres progressifs « pour 189 euros contre 700 en magasin ». Selon son fondateur, Marc Adamowicz, ça marche : « Nous avons entre cinquante et cent commandes de montures par jour et nous n’en sommes qu’au début ! » Jean Polier, cofondateur d’Easy-verres.fr, ne propose sur le Net, lui, que les verres correcteurs, mais « 40 % moins chers qu’en magasin ».
Pour certains professionnels, l’arrivée de ces trouble-fête de l’Internet est d’autant plus gênante qu’elle oblige à plus de transparence. Le prix de leurs verres est affiché sur les sites quand certains opticiens sont coutumiers des « aménagements de factures », adaptant la note aux clients et surtout à leur mutuelle. Plus celle-ci est généreuse, plus ils chargent la facture, en proposant, par exemple, une deuxième paire non prescrite pour maximiser le remboursement par la mutuelle. Selon une enquête OpinionWay réalisée pour Happyview, 22 % des porteurs de lunettes se seraient vu proposer un « prix arrangé ». Pour les assureurs, qui tentent de discipliner les opticiens, le Web n’est donc pas une mauvaise nouvelle.
Le rush d’e-opticiens n’est toutefois pas pour demain. Les obstacles sont élevés : les clients doivent essayer les paires et les ajuster, car les verres doivent être centrés face à la pupille pour être efficaces. Le contact avec un opticien est donc encore incontournable.
Source: LeMonde.fr
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