Optic 2000 : premier de la classe depuis dix ans


Le business des lunettes est formidable : le client accepte sans broncher de payer le maximum tant que sa mutuelle rembourse. A ce jeu-là, l’enseigne devance tous ses concurrents grâce à un maillage très étroit du territoire.

Optic 2000 : premier de la classe depuis dix ans En ce lundi du mois d’août, c’est le rush dans les ­ateliers d’Optic 2000, à Clamart (92). Assis autour de petites tables surélevées, des techniciens s’affairent aux derniers réglages des lunettes qui seront ­acheminées le soir même vers les magasins du ­réseau. Au mur, un écran digital rappelle l’objectif à atteindre et l’état d’avancement du boulot : 10 800 commandes à préparer ! Uniquement des deuxièmes paires offertes pour l’achat d’une première monture. «On croit que l’idée vient ­d’Afflelou, mais pas du tout !, tient à préciser Yves Guénin, le ­secrétaire général du groupe. C’est nous qui avons lancé ce concept de seconde paire gratuite en 1987.»

Qu’on se le dise, Optic 2000 n’est pas du genre à se laisser voler la vedette. L’enseigne ne loupe d’ailleurs pas une occasion de rappeler que, depuis plus de dix ans, son réseau de boutiques aux façades blanc et mauve caracole en tête du marché français de l’optique, évalué à 5,7 milliards d’euros en 2012. D’après le mensuel professionnel «Bien Vu», l’entreprise de Clamart ­s’adjuge 13% du gâteau, devant Krys (11,1%), Afflelou (9,4%), ­Générale d’Optique (6,4%), GrandOptical (4,4%)… Le leader vend 1,5 million de montures par an et 3,5 millions de verres. Du coup, avec ses marques Optic 2000, Lissac (rachetée en 2004) et Audio 2000 pour les audioprothèses, ce réseau coopératif a affiché l’an dernier 1,3 milliard d’euros de chiffre d’affaires. Et la rentabilité est épaisse comme des doubles foyers : 7% selon la coopérative, qui ne publie pas de comptes consolidés. Plus de 10% dans les meilleures de ses 1 200 boutiques, lesquelles ­réalisent en moyenne 680.000 euros de ventes par an.

Tout ça grâce à la vista de Jacques Frot, un petit opticien de Rochefort qui, en 1962, a proposé à quelques confrères de se regrouper pour tenir la dragée haute aux fournisseurs. Le ­Gadol, pour Groupement d’achat des opticiens lunetiers, était né. Et avec lui la coopérative, baptisée en 1969 ­Optic 2000. «A l’époque, l’an 2000 faisait rêver», raconte ­Didier Papaz, actuel président du groupe et patron de quatre magasins dans l’Aube et l’Yonne. Ici, les adhérents ont davantage voix au chapitre que dans une franchise comme Afflelou. Ils choisissent leurs administrateurs, approuvent la stratégie… Un modèle apprécié des opticiens : ces dernières années, le réseau a connu une croissance exponentielle, au point qu’aujourd’hui chaque Français se trouverait à quinze minutes en voiture d’un Optic 2000. Une ­expansion portée aussi par les fameuses saillies de notre Johnny national. Dix années de collaboration avec la vedette, à raison d’environ 700.000 euros de cachet par an selon nos informations, ont porté le taux de notoriété assistée de l’enseigne à 98% ! Laquelle se contente désormais d’investir en publicité 2% du chiffre d’affaires, quand Afflelou y consacre 7% et Atol 5%.

Cette renommée est un atout majeur sur un marché où le myope moyen a bien du mal à ­distinguer des différences entre les enseignes. Les prix ? La complexité de la facturation, en fonction des types de verre, rend les comparaisons difficiles. Sur les montures de marque, les écarts sont minimes : la New Wayfarer de Ray-Ban est par exemple proposée à 199 euros chez Optic 2000 et 194 chez Krys… Les techniques de vente ? Elles se ressemblent terriblement. «La première chose que l’on apprend à un jeune opticien est de demander au client sa carte de mutuelle», raconte le patron d’un magasin. De la sorte, le professionnel sait jusqu’où il peut facturer sans douleur. C’est la complémentaire santé qui paie. Pour faire grimper la note, ce ne sont pas les variétés de verres qui manquent : l’option anti­reflet peut faire monter le prix jusqu’à 85 euros le verre, l’antibuée à 90 euros, et les ­progressifs démarrent rarement au-dessous de 230 euros. Chez Optic 2000, premier client d’Essilor en France, 39% des verres vendus sont des progressifs. Et voilà comment on fait de la France le marché le plus juteux d’Europe, selon un récent ­rapport de la Cour des comptes : la dépense moyenne par habitant en ­optique y est de 88 euros par an, contre 54 euros en Allemagne et 36 euros en Italie.

800.000 « deuxièmes paires » sont assemblées chaque année à Clamart

Optic 2000 : premier de la classe depuis dix ans On comprend mieux pourquoi nos opticiens ont pu surenchérir dans les promesses mirobolantes. On l’a vu, c’est Optic 2000 qui le premier a eu l’idée bril­lante de la seconde paire gratuite. L’initiative visait à attaquer le marché porteur de la presbytie, mais aussi à contrer Afflelou et sa proposition de montures à prix coûtant. «Au départ, les ­opticiens n’étaient pas emballés, se souvient Eric Bousquet, le ­patron de Business, la fidèle agence de publicité du groupe. On a d’abord testé le concept sur trois magasins. Comme les ventes ont explosé, il a été étendu à tout le réseau.» Le succès perdure : 800 000 pièces sont assemblées chaque année à Clamart. Les montures y arrivent de Chine à 2 euros et les verres, non traités, à moins de 1 euro l’unité. Ces pièces viennent souvent d’usines détenues par Essilor et Zeiss. La centrale d’achats d’Optic 2000 revend ensuite le produit complet entre 8 et 10 euros à ses adhérents. Cette deuxième paire «à l’œil» est très vite devenue la norme. Si bien que l’enseigne a dû récemment en remettre une couche, avec ses Inimitables. L’idée est de permettre au client de personnaliser la monture de sa deuxième paire avec un grand choix varié de branches et de verres en acétate, soit 1 620 combinaisons possibles. Cette nouvelle offre fait l’objet d’une publicité à la télé depuis octobre, avec en vedette l’imitateur Laurent Gerra.

Pour se distinguer, Optic 2000 a une autre arme : les modèles à sa marque. Parmi les quelque 1 200 lunettes de vue et les 400 solaires qui composent l’assortiment habituel d’un magasin, ces MDD représentent jusqu’à 30% des ventes. Un business très rentable : selon nos informations, une monture en titane achetée entre 12 et 19 euros en Asie sera revendue par le groupement à l’opticien entre 30 et 40 euros hors taxes. Le client final, lui, déboursera entre 150 et 220 euros net pour la poser sur son nez. Sans les verres. Bien sûr, dans les quartiers chics, on écoule plus facilement des Gucci ou des Chanel que ces modèles «nobody». Mais, coopérative oblige, les opticiens ont une obligation contractuelle d’en acheter auprès de leur centrale. «Si nous n’en commandons pas assez, nous devons payer des pénalités», râle un adhérent parisien.

Alors, trop gourmands nos vendeurs de lunettes ? Comme leurs concurrents, ils sont en tout cas soumis à un feu roulant de critiques. En avril dernier, l’UFC-Que choisir dénonçait leurs pratiques tarifaires. Mi-septembre, la Cour des comptes soulignait à son tour le manque de transparence de ce marché. En dix ans, le nombre de magasins a ainsi progressé de près de 50%, pour atteindre 11 400 points de vente. Mais curieusement, cette pro­lifération n’a pas entraîné de baisse de prix, au contraire ! Opacité des tarifs, manque de concurrence chez les fournisseurs (Essilor détient 66% de part de marché), complicité coupable des mutuelles : tout a concouru à cette flambée. Et les consommateurs sont tombés dans le panneau, oubliant qu’ils paient la facture finale sous forme d’augmentation des cotisations. «On peut payer des verres à sa vue 30 euros comme 200 euros !», s’insurge Mathieu Escot, chargé de mission à l’UFC-Que choisir.

6.000 paires de lunettes vendues par jour

Evidemment, Didier Papaz ­réfute ces accusations. Les marges prélevées sur l’équipement, autour de 60%, se justifient selon lui par le coût du service. «Cela paie les charges de personnel, les deux heures et demie passées à préparer les lunettes, le loyer, le marketing…», plaide l’opticien champenois. Chez Optic 2000, assure-t-il aussi, on ne pratique plus «l’optimisation de facture», qui consiste à ventiler le prix des verres et des montures en fonction des taux de remboursement de la mutuelle. Dès 2004, la coopérative a fait équiper tous ses magasins d’un logiciel censé empêcher la manip. «On a perdu ainsi une centaine d’adhérents», souligne Yves Guénin.

Pour prouver sa bonne foi, Optic 2000 a aussi été le premier à jouer la carte des réseaux de soins. Le groupement a noué des partenariats avec la plupart d’entre eux : Santéclair, Kalivia, Sévéane, Itelis… Chacune de ces plates-formes de santé ­travaille avec des mutuelles et se charge de négocier des conditions tarifaires auprès des opticiens : jusqu’à 40% de ristourne sur les verres, 20% sur les montures. Ceux qui ­acceptent le deal sont alors référencés par le réseau et les mutuelles par­tenaires orientent en priorité leurs assurés vers ces magasins (ils représentent 20% de leur chiffre d’affaires). Krys a fini par suivre le bon exemple de son concurrent. Mais Atol ne s’y est pas résolu, ni Afflelou, au nom de la liberté des opticiens.

Quitte à passer pour le fayot de service, Optic 2000 a aussi modifié sa communication. Johnny et sa Laeticia virant un peu trop bling bling, il a été mis fin l’an dernier au contrat de l’idole des anciens jeunes, alors qu’il devait durer jusqu’en 2013. A charge désormais pour le photographe écolo Yann ­Arthus-Bertrand ou la navigatrice BCBG Maud Fontenoy d’incarner le visage de l’opticien responsable et de faire connaître son dernier slogan : «Une nouvelle vision de la vie.» Pour préparer l’avenir, la coopérative réfléchit à présent au magasin de demain. Il pourrait être en partie virtuel, avec un service d’essayage en ligne et en 3D. Lissac expérimente déjà ce procédé. Côté verres, Optic 2000 espère bien être le premier à bénéficier des futures innovations d’Essilor. Comme ces carreaux de troisième génération, qui rejetteront les UV arrivant par l’arrière.

Ou, plus bluffant, ces produits à «réalité augmentée» ­capables d’afficher des photos de l’espace environnant, dans les zones de vision encore ­intactes des personnes malvoyantes. A ce moment-là, il sera temps pour le réseau de changer de nom. Optic 3000 ?

Source www.capital.fr

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