Disparition programmée des ophtalmologistes : vers une catastrophe sanitaire ?
Six mois voire un an, voilà les délais d’attente pour obtenir un rendez-vous chez l’ophtalmologiste. Spécialistes trop peu nombreux, formation dévalorisée, un médecin tire la sonnette d’alarme et appelle les candidats à l’élection présidentielle à agir afin de sauver cette profession.
Ceux qui fréquentent les cabinets d’ophtalmologie se divisent en deux groupes : d’un côté les « patients » qui essaient de prévoir leurs rendez-vous à l’avance, dans la mesure du possible, et les autres, impatients, ténors médiatiques, qui hurlent au scandale en faisant mine de découvrir le délai d’attente pour obtenir une consultation chez un ophtalmologiste.
Incompréhension des patients
La plupart des gens, mes patients compris, sont incapables de se poser la question en sens inverse : si l’ophtalmologiste me donne rendez-vous dans trois, six ou douze mois, ce n’est peut être pas par sadisme, c’est tout simplement qu’il n’a pas le choix.
Les ophtalmologistes médicaux disparaissent peu à peu du paysage médical français et personne, parmi les autorités, ne semble en mesurer l’impact. Nos patients non plus, comme l’illustrent ces interrogations récurrentes :
1) « Si c’était le cas, la télévision, la radio ou les journaux en parleraient ? » : eh bien non ! La plupart des articles de presse relaient un « testing » de nos secrétariats et de nos délais de consultation dont les résultats sont placardés.
2) « Pourquoi les jeunes refusent-ils de faire des études d’ophtalmologie ? » : ils ne refusent pas ! Beaucoup d’étudiants en médecine souhaiteraient choisir cette spécialité mais on compte chaque année environ 1,6% des postes ouverts aux « Épreuves Classantes Nationales » alors que les ophtalmologistes représentent 3,2% des médecins d’Île-de-France.
Ces réflexions, plutôt courantes, sont liées à une mauvaise communication autour des causes de cette pénurie d’ophtalmologistes de la part des médias mais également de notre part à nous, professionnels.
Une formation moins accessible
La suppression du Certificat d’Études Spécialisées (CES) d’ophtalmologie au début des années 80, ainsi que celui d’autres spécialités, a contribué à la pénurie qui sévit aujourd’hui. Auparavant, deux voies permettaient aux étudiants en fin d’études de médecine d’exercer une spécialité : le concours de l’internat ou le CES.
Dans le cas de l’ophtalmologie, on choisissait, après la septième année, de poursuivre, ou non, des études spécialisées en ophtalmologie après avoir réussi un examen probatoire. S’ensuivaient trois années d’études théoriques, de stages hospitaliers et de gardes.
Pendant ces trois ans, les inscrits aux Certificat d’Études Spécialisées assuraient gratuitement, dans les CHU, les mêmes fonctions que les internes en ophtalmologie. Un examen national final permettait de valider le CES et d’exercer la spécialité.
Après la disparition des CES, certains hôpitaux ont comblé partiellement le vide laissé par quelques médecins aux diplômes étrangers. Mais ces solutions se sont révélées insuffisantes et, à partir des années 2000, l’aggravation a été nettement constatée dans presque toutes les régions (sauf à Paris et dans la région PACA). Depuis vingt-cinq ans maintenant, la seule voie pour former des ophtalmologistes est donc l’internat, rebaptisé ECN (Épreuves Classantes Nationales).
Or le nombre de places d’internes en ophtalmologie est resté très faible sans tenir compte des besoins et du vieillissement de la population. De plus, la plupart des internes ont une formation de chirurgiens. Ils consacrent moins de temps à la partie, non négligeable, de la spécialité qui recouvre le travail de prévention, la strabologie, la neuro-ophtalmologie, le dépistage du diabète ou de la DMLA (Dégénérescence Maculaire Liée à l’Âge).
Des solutions insuffisantes
Un ophtalmologiste, récemment installé, a cru bon de communiquer sur son délai de rendez-vous en 24 à 48 heures en secteur conventionné. Cette installation a été présentée comme « la » solution. La cible privilégiée de ce centre : les consultations rapides de lunettes ou lentilles et le dépistage. Mais pas la gestion des maladies, or lunettes et lentilles sont la partie « visible » de l’iceberg ophtalmologique.
On pourrait envisager de doubler ou de tripler notre temps de travail et d’accroître notre productivité (en diminuant drastiquement le temps passé avec le malade) mais cela amène souvent à des lunettes ratées, des explications bâclées ou même à des erreurs de diagnostic. Le SNOF (Syndicat National des Ophtalmologistes de France) propose une collaboration avec les orthoptistes.
C’est, certes, très séduisant mais insuffisant. De plus, les nombreux départs à la retraite risquent d’aggraver la situation.
Une classe politique inactive
En cette période électorale, nous entendons beaucoup de propositions aberrantes émanant de chacun des différents partis politiques en matière de santé : remplacer les médecins par les vétérinaires, multiplier les Maisons de Santé Pluridisciplinaires (en oubliant que pour remplir une MSP, il faut des médecins) ou encore confier la réfraction aux opticiens et apparentés.
Si dix ans d’études (ou plus actuellement) ne sont pas indispensables pour « faire des lunettes », il faut bien garder à l’esprit que ce sont les consultations lunettes qui permettent le dépistage de la pathologie. Or, ce qui intéresse votre ophtalmologiste, c’est ce qui se trouve juste derrière les lunettes.
J’invite ceux qui vivent dans les régions moins médicalisées que l’Ile-de France à jeter un coup d’œil aux cheveux grisonnants de leurs médecins ou de les interroger sur l’avenir de leur profession. En ce qui me concerne, je sais déjà qu’à l’heure de la retraite, je fermerai mon cabinet sans successeur.
Source: http://www.nouvelobs.com
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